Une longue bataille, beaucoup d'encre et d'énergie pour défendre une liberté qui est fondamentale et que personne ne pourra nous ravir.
Jean-Paul
Willaime, spécialiste de la laïcité, s'est exprimé dans le magazine Réforme pour expliquer qu'en France la liberté religieuse est mal traitée et non protégée, il reste cependant un espoir au niveau européen :
"Cet arrêt de
la CEDH (Cour Européenne des Droits de l'Homme) de Strasbourg condamne la France pour atteinte à la liberté religieuse
(violation de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme)
suite à l'action de redressement fiscal qu'elle a engagée contre les Témoins de
Jéhovah. Cette décision, prise à l'unanimité, y compris par le juge français
Costa, est importante à plus d'un titre.
Pour le
comprendre, rappelons tout d'abord qu'au-delà du cas des Témoins de Jéhovah, il
s'agit d'une question non négligeable pour la vie des associations déployant
une activité religieuse: celle de la taxation éventuelle, par les services
fiscaux, des dons manuels autrement dit des offrandes effectuées par les
fidèles, en particulier lors des cultes. Si la Cour de Strasbourg avait donné
raison à l'Etat français, les Témoins de Jéhovah auraient dû verser 57
millions € au fisc, ce qui, comme l'a reconnu la Cour, revenait à
asphyxier les Témoins de Jéhovah et portait donc atteinte à leur libre exercice
du culte. La décision de Strasbourg est une bonne nouvelle pour la liberté
religieuse en France car le but recherché à travers ce redressement fiscal
était bien l'étranglement des Témoins de Jéhovah, déjà épinglé dans le rapport
parlementaire sur les sectes de 1995. On voit ici l'échec d'une politique qui
voudrait, alors même qu'il n'existe aucune définition juridique de la secte,
stigmatiser certains groupes, voire tout faire pour les annihiler. Que les
croyances et les pratiques d'un groupe religieux plaisent ou non, s'il respecte
les lois et ne porte pas atteinte à l'ordre public, on ne peut prendre à
son égard des mesures d'exception comme si les offrandes des groupes
religieux réputés être des sectes devaient être taxées alors que les offrandes
des autres groupes religieux ne le sont pas. Il est significatif que le mémento
Francis Lefebvre sur les associations et les fondations précise, dans sa
version 2008-2009, que les associations qui sont susceptibles de faire l'objet
d'une taxation sont essentiellement les sectes! Or, la décision de la Cour de
Strasbourg du 30 juin dernier met en échec la distinction Églises/Sectes au
plan fiscal.
Les motifs
de la décision sont également intéressants car ils dénoncent l'insécurité
juridique d'une disposition, la taxation des dons manuels, qui, normalement,
était essentiellement prévue pour les personnes physiques et non pour les
personnes morales (les associations). Il n' a pas échappé à la Cour de
Strasbourg que l'extension, dans certains cas, aux personnes morales, avait été
précisée bien après le début du redressement exigé en 1998 des Témoins de
Jéhovah. Comme si l'on pouvait modifier une loi après l'engagement même de la
procédure et pour mieux garantir l'aboutissement de celle-ci ! C'est le
non-respect de la prévisibilité de la loi que dénonce particulièrement l'arrêt
de la CEDH. Pour que l'application d'une loi soit valable, il faut que les
personnes physiques et morales auxquelles elle peut s'appliquer aient une
claire connaissance de ses effets. Or, comme l'a observé la Cour, on ne
peut faire dépendre la taxation des dons manuels de la réalisation d'un
contrôle fiscal (qui révèle les dons effectués alors qu'il n'y a pas
d'obligation légale de les révéler) car cela implique nécessairement une part
d'aléa et donc une imprévisibilité dans l'application de la loi fiscale.
Le conseil supérieur de l'Ordre des experts comptables, organisme placé
sous la tutelle du ministère des Finances, n'avait-il pas déjà fait
remarquer l'aberration d'une situation "dans laquelle c'est le
contrôle fiscal qui déclenche l'obligation fiscale » !
Ces
questions très techniques rappellent que les groupes religieux ont droit,
en régime de laïcité, en un traitement équitable, claire et prévisible.
L'insécurité juridique encourage le traitement au cas par cas et favorise les
discriminations. Il est heureux que la Cour de Strasbourg rappelle
indirectement, à travers cet arrêt relatif aux Témoins de Jéhovah, qu'une
République qui déclare ne reconnaître aucun culte, ne peut pas maltraiter
fiscalement l'un deux même au prétexte qu'il serait une secte. C'est en
fin de compte grâce à la juridiction européenne que la laïcité française
apprend de plus en plus à être respectueuse de la pluralité
religieuse."