jeudi 19 juillet 2012

Au sujet de la victoire des Témoins de Jéhovah


Une longue bataille, beaucoup d'encre et d'énergie pour défendre une liberté qui est fondamentale et que personne ne pourra nous ravir.

Jean-Paul Willaime, spécialiste de la laïcité, s'est exprimé dans le magazine Réforme pour expliquer qu'en France la liberté religieuse est mal traitée et non protégée, il reste cependant un espoir au niveau européen : 

"Cet arrêt de la CEDH (Cour Européenne des Droits de l'Homme) de Strasbourg condamne la France pour atteinte à la liberté religieuse (violation de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme) suite à l'action de redressement fiscal qu'elle a engagée contre les Témoins de Jéhovah. Cette décision, prise à l'unanimité, y compris par le juge français Costa, est importante à plus d'un titre.

Pour le comprendre, rappelons tout d'abord qu'au-delà du cas des Témoins de Jéhovah, il s'agit d'une question non négligeable pour la vie des associations déployant une activité religieuse: celle de la taxation éventuelle, par les services fiscaux, des dons manuels autrement dit des offrandes effectuées par les fidèles, en particulier lors des cultes. Si la Cour de Strasbourg avait donné raison à l'Etat français, les Témoins de Jéhovah auraient dû verser 57 millions € au fisc, ce qui, comme l'a reconnu la Cour, revenait à asphyxier les Témoins de Jéhovah et portait donc atteinte à leur libre exercice du culte. La décision de Strasbourg est une bonne nouvelle pour la liberté religieuse en France car le but recherché à travers ce redressement fiscal était bien l'étranglement des Témoins de Jéhovah, déjà épinglé dans le rapport parlementaire sur les sectes de 1995. On voit ici l'échec d'une politique qui voudrait, alors même qu'il n'existe aucune définition juridique de la secte, stigmatiser certains groupes, voire tout faire pour les annihiler. Que les croyances et les pratiques d'un groupe religieux plaisent ou non, s'il respecte les lois et ne porte pas atteinte à l'ordre public, on ne peut prendre à son égard des mesures d'exception comme si les offrandes des groupes religieux réputés être des sectes devaient être taxées alors que les offrandes des autres groupes religieux ne le sont pas. Il est significatif que le mémento Francis Lefebvre sur les associations et les fondations précise, dans sa version 2008-2009, que les associations qui sont susceptibles de faire l'objet d'une taxation sont essentiellement les sectes! Or, la décision de la Cour de Strasbourg du 30 juin dernier met en échec la distinction Églises/Sectes au plan fiscal.

Les motifs de la décision sont également intéressants car ils dénoncent l'insécurité juridique d'une disposition, la taxation des dons manuels, qui, normalement, était essentiellement prévue pour les personnes physiques et non pour les personnes morales (les associations). Il n' a pas échappé à la Cour de Strasbourg que l'extension, dans certains cas, aux personnes morales, avait été précisée bien après le début du redressement exigé en 1998 des Témoins de Jéhovah. Comme si l'on pouvait modifier une loi après l'engagement même de la procédure et pour mieux garantir l'aboutissement de celle-ci ! C'est le non-respect de la prévisibilité de la loi que dénonce particulièrement l'arrêt de la CEDH. Pour que l'application d'une loi soit valable, il faut que les personnes physiques et morales auxquelles elle peut s'appliquer aient une claire connaissance de ses effets. Or, comme l'a observé la Cour, on ne peut faire dépendre la taxation des dons manuels de la réalisation d'un contrôle fiscal (qui révèle les dons effectués alors qu'il n'y a pas d'obligation légale de les révéler) car cela implique nécessairement une part d'aléa et donc une imprévisibilité dans l'application de la loi fiscale. Le conseil supérieur de l'Ordre des experts comptables, organisme placé sous la tutelle du ministère des Finances, n'avait-il pas déjà fait remarquer l'aberration d'une situation "dans laquelle c'est le contrôle fiscal qui déclenche l'obligation fiscale » ! 

Ces questions très techniques rappellent que les groupes religieux ont droit, en régime de laïcité, en un traitement équitable, claire et prévisible. L'insécurité juridique encourage le traitement au cas par cas et favorise les discriminations. Il est heureux que la Cour de Strasbourg rappelle indirectement, à travers cet arrêt relatif aux Témoins de Jéhovah, qu'une République qui déclare ne reconnaître aucun culte, ne peut pas maltraiter fiscalement l'un deux même au prétexte qu'il serait une secte. C'est en fin de compte grâce à la juridiction européenne que la laïcité française apprend de plus en plus à être respectueuse de la pluralité religieuse."


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